Il n’est pas question d’une  vieille matrone qui pratique en famille le cabotage sur les canaux et laisse mitonner sur le feu une soupe à l’anguille fumante. Véhicules de  tourisme ou habitations excentriques, les péniches qui arpentent la Seine et la Marne se font rares et ne transportent plus ni colis, ni marchandises.

Il n’est pas question non plus de politique: l’actualité se fait bien trop pressante. On ne parle pas de cinéma ni de littérature. Les starlettes des années cinquante qui la portaient sont oubliées.  L’image de la Patricia d’A bout de souffle s’estompe peu à peu. Marguerite Duras a laissé sa casaque devant les Roches Noires sur les planches de Trouville. Cela fait bien longtemps que Jean-Paul Gaultier a troqué  sa marinière contre une sage veste noire.

Et, c’est précisément quand les idoles se sont ternies que l’actualité s’empare de cette dizaine de rayures sur fond blanc sous des prétextes aussi divers qu’anecdotiques. Elle serait fabriquée en France. Un ministre la recommanderait. Le coton en serait parfait et les rayures calculées au millimètre près.

Reste la question insoluble: peut-on porter la marinière ? Le problème ne tient pas à la mode: le vêtement est ancien, presque éculé et l’on ne pêchera pas en s’y risquant par excès de modernité. Il s’agira au contraire d’une marque de bon goût si ce n’est d’élégance. La question n’est pas religieuse non plus: cela fait bien longtemps qu’on ne prête plus aux costumes rayés une ascendance diabolique et, par haine de la superstition, les chats noirs sont aujourd’hui en France plus nombreux que tous les autres animaux de compagnie.

Lorsqu’elle est blanche et bleue, elle tend au conservatisme. On peut la préférer, pour des raisons qui font sens,  ou plus ou moins rouge ou verte ou encore inversée selon ce que l’on veut dire de soi. On peut la choisir vraiment égalitaire ou résolument écologiste, rebelle ou révolutionnaire.

Il n’empêche que la marinière a largement quitté les berges de Douarnenez et les rives de l’Aber Wrac’h. On la trouve davantage à Barbès, au carrefour des rues Marcadet et Ordener qu’en Bretagne ou à Versailles et c’est en marinière que l’on boit bien souvent son thé à la menthe. Une star de la cuisine marocaine, Choumicha, la porte dans ses périples mondiaux. Enfin détourné, le signe qui, pour des âmes sectaires, devait exclure certains les inclut. Et c’est ainsi que le détournement des symboles passe bien souvent celui des avions.